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L’oeuvre de Mimi Barthélémy

Outil de libération d’Haïti

dimanche 28 avril 2013, par Jacques Nési

L’émission Kòn lanbi présente ses sincères condoléances aux Familles et alliés endeuillés par la disparition de Mimi Barthélemy. La nouvelle est tombée comme un coup de massue. Un coup ravageur. Une émotion terrible saisit le monde culturel, la communauté haïtienne de France, Haïti, et d’autres capitales. Dans une incompréhension qui renvoie à notre fragilité, la disparition de Mimi Barthélemy surprend tant par sa soudaineté que par sa fonction utilitaire que ses contes jouent de façon grandissante dans les milieux les plus divers.

Puisque , comme nous le rappelle Beaudelaire dans « les Fleurs du mal », « … les vrais voyageurs sont ceux-là seuls qui partent Pour partir ; cœurs légers, semblables aux ballons, De leur fatalité jamais ils ne s’écartent, Et, sans savoir pourquoi, disent toujours : Allons ! »(Les fleurs du mal, Le voyage)

Dans un pays encore endolori par le séisme du 12 janvier 2010, le rôle de Mimi Barthélemy se confondait avec celui d’une passionnaria au service d’Haïti qu’elle affectionnait, qu’elle tirait par le haut à travers ses contes, ses chansons. Hors de ses frontières, elle construisait, tissait une Haïti recomposée. Elle écrivait que « Le conte haïtien est héritier de l’Afrique par les esclaves, de l’Europe par les maîtres, et de l’Amérique par les Amérindiens, les Taïnos, premiers habitants de l’île. Il est autant création spontanée qu’adaptation, transformation, versions de récits taïnos, africains, gascons, bretons ou celtes . »( M. Barthélémy, « Avant-propos », dans Haïti conté, Genève, Éditions Slatkine/Sodifer, coll. « Le Miel des contes », 2004, p.19.

C’est cette Haïti protéiforme sur le plan culturel qu’elle permet à tout spectateur, tout lecteur de noter, de comprendre. Jamais elle ne s’est inscrite dans la sinistrose ambiante, elle n’est jamais arrivée à couvrir Haïti de l’opprobre et de la malédiction où conduisent les luttes des élites pour le pouvoir et la perfidie des tyrans.

L’action de Mimi Barthélemy ne saurait être considérée comme celle d’une conteuse faisant écarquiller seulement les yeux des enfants avant de regagner leur lit le soir, mais prolonge un combat permanent d’affirmation de l’identité haïtienne, loin de la désintégration de l’Etat occultée par des soudards élevés au rang de dirigeants mêlés aux fêtards et aux Etats puissants. Projeter une image spécifique à Haïti, déployant sa force, sans chercher à l’isoler dans un particularisme vindicatif, aux termes de longues années d’exclusion, tel est le sens de son oeuvre. Ainsi, la disparition de Mimi Barthélemy est une catastrophe pour Haiti. Elle conte, explique, émerveille, raconte, emballe, chante, ici en spectacle, là dans les prisons, les hôpitaux, les espaces où respirent, survivent, espèrent des âmes endolories par le deuil, le chagrin. Si elle trouve dans les contes l’exutoire où s’épanche son attachement à Haïti, avec laquelle elle a vécu en symbiose, éloignée d’Haïti, mais si proche d’elle. Proche de ses malheurs. Proche des moments les plus douloureux de la vie de ce peuple.

Mimi Barthélemy était à Port-au-Prince, secouée par le séisme du 12 janvier 2010. Elle a vécu ses moments atroces aux côtés des victimes, troublées par ces nouvelles épreuves. Sa voix, ses talents de conteuse ont été mobilisés pour panser les plaies de ces milliers d’haïtiens désemparés. Son conte « colibri » prolonge le rêve de Manuel dans « Gouverneurs de la rosée » et surtout l’espoir aux haïtiens placés désormais face aux réalités. Le colibri seul parvient à apprivoiser le désastre en apportant une goutte d’eau. Son exemple de courage est suivi par les autres oiseaux qui l’accompagnent dans sa démarche.

C’est ce message de courage qu’apporte Mimi Barthélemy dans ses contes. Un message d’espoir comme au lendemain du tremblement de de terre, accompagnant des victimes en Guadeloupe, comme elle le démontre dans le conte Cours de grimpette, où le chat enseigne l’art de grimper les arbres au cabri. Ce défi parait insurmontable au cabri, mais à force de dépassement, de sa capacité à fendre l’armure, le cabri va au-delà de ses limites pour survivre, résister aux âpretés de la vie. Ce qui suscite les émotions des spectateurs, c’est autant ce fonds des animaux exploré avec tant de talents que sa maitrise à transformer par sa voix, ses gestes, ses chansons , sa magie de dépister les joies intimes. Regards transformés, moments de transport ,verbe bu ,yeux qui contemplent en silence les mouvements sur scène de la conteuse vêtue de ses habits de circonstances.

L’expression choisie de Mimi Barthélemy pénètre un univers lacéré de souffrances, de coups bas mis en échec par la force de la ruse, par la condamnation de la méchanceté. Comme un pari fou, Mimi Barthélemy distille à doses communicationnelles une pincée « d’un petit pied de laurier chargé de fleurs » à la fragilité de chacun, puisque « un p’tit vent a brisé toutes les fleurs ».Elle a su diffuser par cette pédagogie incomparable les valeurs présentes dans l’imaginaire haïtien. Malgré les soubresauts qui scandent son histoire, Haïti s’est immortalisé, s’est mondialisé, grâce aux talents de Mimi Barthélemy. Plus qu’une ambassadrice, elle devint l’actrice, seule dans son genre, à véhiculer partout dans le monde, les héros que peuple le répertoire haïtien.

Comme une entreprise sacerdotale, l’action pédagogique de Mimi Barthélemy s’est attachée à rendre vivante l’âme haïtienne, celle que d’autres manipulent pour en faire la pestiférée de la Caraïbe. L’oeuvre de Mimi Barthélemy s’est construite autour d’une convocation à la piété patriotique, non pas misérabiliste, mais cette piété qui rehausse le réel, supplante les superstitions qui nuisent à l’évolution de l’Haïtien. Et c’est ce qu’a tenté Mimi Barthélemy :tenir vivants les rituels de mémoire, donner du sens à la culture aux croyances haïtiennes permet à ce pays de construire des trajectoires de son identité. Et les récits mythiques participent de la construction de cette « appartenance culturelle, religieuse ou politique », celle-ci s’affirme, se renforce par l’articulation des valeurs aux « récits mythiques ».

L’appropriation de l’imaginaire haïtien constitue sa dernière voie de survie, de rayonnement, d’affrontement avec les autres civilisations pour y dessiner ses traces :les contes sont donc un élément efficace permettant de forger le tempérament de l’haïtien , d’assurer son harmonie « par l’inscription dans un corps symbolique virtuellement éternel »(Jean-Claude Ruano Borbalan (sous la dir), L’identité, Sciences humaines,1998,p.10) La dimension affective de l’haïtien formera l’ancrage dont il a besoin pour s’autonomiser. Et l’engagement de Mimi Barthélemy, comme celui de son époux, a facilité ce travail d’intégration d’HAITI à la civilisation universelle.

L’œuvre de Mimi Barthélemy, une bibliothèque à usages complexes, use de métaphores, mais comme outil de transmission d’un patrimoine, de réflexion, d’insurrection, de libération. Compte tenu des difficultés cruciales d’Haïti, avoir la capacité de se référer aux ressorts de l’âme peut devenir un sésame qui détermine la force des croyances individuelles du citoyen haïtien.

Mimi Barthélemy s’est donnée pour mission de dire au monde que l’identité haïtienne en dépit de l’irresponsabilité des élites, de la confiscation de son histoire par des puissants, s’est densifiée, s’est créolisée, comme le dit Edouard Glissant c’est-à-dire « de l’identité comme rhizome, de l’identité non plus comme racine unique, mais comme racine allant à la rencontre d’autres racines. »(E. Glissant, Introduction à une vue poétique du divers, Gallimard, 1996). Il ne faudrait perdre de vue le patrimoine légué par Mimi Barthélemy, mais plutôt le visiter ,le rendre vivant, présent ,comme elle le fait dans ses contes : « Est-ce que la cour dort ? comme Mimi le dit au milieu de ses contes « Non, la cour ne dort pas ! »Non, nous ne devons pas nous endormir, oublier le message de Mimi Barthélemy.

Jacques NESI pour l’émission Kòn lambi. Radio fréquence Paris Plurielle,www.rfpp.net 28 Avril 2013. Kòn lambi est une émission animée et conçue par des bénévoles, diffusée le dimanche de 17H.à 18H.

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