Categories

Accueil du site > 49. Nos chroniques > 50. Chronique de Jacques NÉSI > VERS UN CHANGEMENT DE REGIME POLITIQUE EN HAITI ?

VERS UN CHANGEMENT DE REGIME POLITIQUE EN HAITI ?

dimanche 27 avril 2014, par Jacques Nési, Kònlanbi

Les élites dirigeantes d’Haïti semblent partager une ligne commune : celle d’engager le pays dans une crise permanente. Alors que quelques partis politiques, toutes tendances confondues, ont conclu il y a quelques semaines,à un accord ayant abouti à la formation d’un nouveau gouvernement, le pays s’engage dans une nouvelle impasse. Mal engagées, les négociations d’El Rancho, pour n’avoir défini un consensus qu’autour de la répartition des postes ministériels, n’ont pas été à la hauteur des espoirs que certains, par excès de réalisme ou péché de naïveté, ont investi dans la capacité spontanée des acteurs à penser, une fois , à l’intérêt général. Ce serait mal connaitre les acteurs politiques d’Haïti, novices ou chevronnés, qui ne sont obnubilés que par la quête d’accumulation matérielle, financière, quitte à obérer les perspectives d’avenir d’Haïti.

Cette semaine a donné l’occasion au parlement d’enfoncer le président de la république accusé d’avoir violé la constitution de 1987 amendée, en matière de nomination du premier ministre. Le sénat reproche au président de la république d’avoir formé un gouvernement sans l’avis du parlement. Ainsi, le gouvernement haïtien est une autorité illégitime. Le dictionnaire français Alain Rey définit l’adjectif illégitime comme l’autorité « qui ne remplit pas les conditions requises par la loi, le droit », c’est-à-dire, une autorité qui n’est pas juste, qui n’est pas fondée. En matière de nomination du premier ministre, c’est la constitution, rien d’autre que la Constitution, qui impose ses règles de droit. Toute violation de ces règles conduit le gouvernement au courroux du parlement, constitutionnalisé au moyen du vote de censure.Ainsi, on peut se demander si le gouvernement a appliqué les règles prévues.

L’article 158 de la Constitution de 1987 amendée précise que « le premier ministre en accord avec le président choisit les membres de son Cabinet ministériel et se présente devant le Parlement afin d’obtenir un vote de confiance sur sa déclaration de politique générale. » A l’analyse, il apparait que le pouvoir de nommer un premier ministre est un pouvoir propre du président de la République qu’il partage avec le Premier ministre. Il y a les normes juridiques et la pratique. Et très souvent c’est la pratique qui consolide et renforce les règles. Le premier ministre, dans la pratique, n’impose pas les ministres au président de la République. Si le président de la république fait confiance à son premier ministre, il lui laisse la latitude de lui proposer les membres du gouvernement. Si le premier ministre et le président de la République sont en symbiose, comme c’est le cas aujourd’ hui en Haïti. Les choix sont opérés et entérinés par M.Lamothe et M.Martely dans un compromis qui renforce et assoit davantage leur maitrise du pouvoir. Les deux acteurs ne prennent pas de risques par l’affectation à des postes où ils ont des responsabilités particulières des hommes et femmes qu’ils ne connaissent pas. On ne gouverne qu’avec ses amis. La présence d’intrus dans ce dispositif est maitrisée par les deux hommes, Martelly et Lamothe qui s’entendent comme deux larrons en foire.

L’article 158 précise le rôle d’un acteur important dans la nomination du premier ministre, c’est le Parlement. En conséquence, la présentation devant le parlement est une deuxième étape qui participe du couronnement du gouvernement. La présentation devant le parlement donne une existence juridique au gouvernement. Dans un régime où l’existence du gouvernement tient du parlement, la cohérence et la recherche de l’efficacité du régime imposent au premier ministre la nécessité de rechercher l’appui et l’adhésion du parlement. Celle-ci se traduit par le vote de confiance. Le premier ministre ne peut en aucun cas se dérober à cette exigence. Mais l’article 158 ne précise pas à quel moment se déroule cette présentation. Et c’est là le principal défaut de cette constitution, malgré l’amendement adopté dans des conditions de flibusterie bloquante, l’imprécision. Aucun délai n’est fixé pour cette présentation. Mais le constituant peut-il tout prévoir ? Il fait confiance à l’esprit des acteurs qui sont considérés par le constituant comme des acteurs favorables à la démocratie, donc au respect des règles constitutionnelles. On pourrait le comprendre ,si le président de la république avait formé son gouvernement, en période de vacance parlementaire. Mais tel n’est pas le cas. Le président de la république choisit d’écarter le parlement de la formation du gouvernement. Il semble se référer aux pratiques, aux usages qui confortent sa posture. En effet,M. Préval a choisi son premier ministre en dehors de l’avis du parlement en 1999, puisque celui- ci s’est effacé de l’environnement institutionnel. Mais dans tous les autres cas, René Préval et M.Aristide se sont toujours évertués à rechercher l’appui du parlement. C’est-à-dire que les usages plaident en faveur du respect strict de l’article 158 qui, il faut le reconnaitre, est renforcé par l’article 137 de la Constitution.Celui-ci prévoit la ratification du Parlement : « Le président de la République choisit un premier ministre parmi les membres du parti ayant la majorité du Parlement .A défaut de cette majorité le président de la République choisit son premier ministre en consultation avec le Président du Sénat et celui de la Chambre des députés. Dans les deux cas le choix doit être ratifié par le Parlement. »Jusqu’à présent, tous les gouvernements n’ont pas attendu de longs mois pour se présenter devant le parlement. Le président de la République actuel semble s’orienter donc vers un régime présidentiel en faisant en sorte que le gouvernement tient ses pouvoirs de sa confiance.Il estime sans doute bénéficier de la forte majorité dont il dispose au parlement.Une majorité fragile,certes ! Pouvait-il faire autrement ? Il aurait pu éviter cette difficulté supplémentaire avec le parlement, notamment avec le président du Sénat qui dénonce l’affiliation de Michel Martelly avec les chefs de gangs qui ont pignon sur rue et qui jouissent d’une totale impunité. Le président ne souhaite pas engager un dialogue avec le parlement qui l’expose à de nouvelles épreuves en refusant d’approuver l’accord d’El Rancho par le vote de nouvelle mouture de la loi électorale . Il prend le risque de former un gouvernement illégitime parce que sa formation n’est pas fondée sur l’article 158 de la Constitution. En d’autres termes, la procédure de formation du gouvernement est irrégulière, injustifiée et fait naitre une violation constitutionnelle. Le président de la république ne peut en aucune façon se référer aux pratiques constitutionnelles autoritaires, anachroniques du régime antérieur à 1986. On glisse donc vers un régime présidentiel. Illégitime, le gouvernement est aussi illégal parce que sa formation n’est pas conformé à la législation qui est prévu et désigné par la loi.Un nouveau talon d’Achille pour Martelly ! Illégitime. Illégal. Une nouvelle illustration que le droit constitutionnel, comme se plaisent à enseigner les constitutionnalistes a de fortes ressemblances avec la poésie. La règle constitutionnelle est aussi chargée de sens que les poèmes « aussitôt achevés n’appartiennent plus à leur auteur mais à son lecteur chez qui ils éveillent des images et des résonances infinies ». ((Philippe ARDANT, Institutions politiques et droit constitutionnel, Paris, LGDJ,1993